Laudato Si et les agriculteurs
Quelle agriculture pour quelle alimentation ? extrait du journal CMR du Haut-Rhin juillet 2019
Encouragée par le succès de la visite du « potager du paresseux » de M. Didier Helmstetter en octobre 2018, l’équipe Lautato Si du Haut Rhin organise une autre journée de découverte dans le cycle Agriculture, Alimentation, Source de Santé.
Nous n’avons pas tous un potager et dans nos potagers nous n’avons pas de tout. Où nous procurons-nous notre alimentation? Le rendez-vous entre producteurs et consommateurs le 13 avril à Benfeld fut l’occasion de confronter nos attentes de consommateurs aux réalités des métiers d’agriculteurs. Une rencontre fort appréciée par l’ensemble des participants.
Si les témoignages qui suivent nous font découvrir la vie des agriculteurs, leur quotidien, leurs démarches de conversion et leurs motivations, le premier a un statut un peu particulier. C’est un restaurateur qui, engagé dans des alternatives alimentaires pérennes, n’en est pas moins soucieux du sort des agriculteurs. Les producteurs nous ont partagé les questions qui les préoccupent. Les réponses apportées par les participants seront reprises lors d’un bilan avec les agriculteurs.
Mais vous aussi, laissez-vous interpellés. Un petit questionnaire distribué ce jour-là révèle que, pour la plupart d’entre nous, nous allons dans les grandes surfaces. En seconde position arrivent les marchés puis les achats directement auprès des producteurs.
Avant le label bio, notre attention va d’abord aux produits de saison et aux produits locaux. Les plats cuisinés sont délaissés pour des produits frais.
François Schreiber:restaurant «Made in Frantz» à Plobsheim, Citoyen et restaurateur engagé
Je suis restaurateur depuis peu à Plobsheim. Avant ça j’ai enseigné la cla-rinette pendant 15 ans. C’est un peu le grand-écart entre ces deux activités. Ma conversion a été induite par une réflexion avec ma femme sur l’alimenta-tion en particulier, sur l’agriculture en général, sur le type d’agriculture que nous souhaitions pour demain et la recherche d’alternatives pérennes. Si je suis restaurateur aujourd’hui, c’est pour ces raisons là.
Le point de départ de notre réflexion a été à la naissance de notre premier enfant qui a maintenant 15 ans. Nous nous sommes posé la question de comment nous allons nous nourrir correctement, comment proposer les meilleurs aliments à nos enfants ?
Par ailleurs j’ai toujours eu un profond respect pour les paysans qui nourrissent la population. Avec l’exode rural s’est mis en place un manque de considération sociale. Personnellement je ne comprends pas pourquoi un médecin gagne plus qu’un agriculteur.
«Tu es ce que tu manges». Si nous nous alimentons sainement, nous avons toutes les raisons de vivre sainement.
Aujourd’hui, les scandales sanitaires à répétition nous font prendre conscience que l’industrialisation de l’alimentation n’est peut-être pas la voix optimale. C’est pourtant celle qu’on a choisie au lendemain de la seconde guerre mondiale pour nourrir la population avec un minimum d’agriculteurs. Mais au-jourd’hui on arrive à l’essoufflement du système.
En tant que citoyens, que pouvons-nous faire?
En tant que parents qu’est-ce qu’on peut faire?
Il y a une quinzaine d’année, avec mon épouse nous avons commencé à chercher des agriculteurs qui proposaient des produits à proximité de notre lieu d’habitation. Ensuite nous nous sommes intéressés au mode de commercialisation de ces produits. Les AMAP venaient à peine de voir le jour. Il y avait très peu de magasins de producteurs. Il fallait trouver quelque chose qui soit pratique et qui permette de rétribuer correctement les producteurs. Aucun système n’est parfait. Avec mon épouse nous avons découvert un système de ventes en ligne qui s’appelle «la Ruche qui dit oui». Nous nous sommes lancés là-dedans. Ça nous a permis de rencontrer beaucoup de producteurs, d’écouter quelles étaient leurs contraintes et à partir de là, d’en-richir notre réflexion de départ.
Nous nous sommes rendu compte que les personnes que nous rencontrions lors des distributions étaient des personnes qui avaient déjà entamé une réflexion sur leur consommation. On touchait un public qui était déjà sensibilisé. Avec mon épouse nous nous demandions:
Comment sensibiliser un public plus large? Comme nous étions un peu utopistes et que nous avions une vieille grange de 1825 à côté de notre lieu d’habitation, nous avons élaboré un projet qui combinait valorisation d’un patri-moine et sensibilisation aux enjeux de l’agriculture durable. C’est à ce moment là que nous avons souhaité faire un restaurant. C’était aussi une manière de pérenniser ce que nous avions commencé avec le réseau des ruches. Avec le restaurant nous pouvions continuer à travailler avec les producteurs et valoriser leurs produits au restaurant pour sensibiliser un public plus large. Les personnes qui viennent au restaurant n’ont pas forcément envie d’entendre parler de l’agriculture mais en voyant la carte, elles voient que ce qu’elles mangent provient de telle ou telle ferme. C’est un moyen de leur donner envie de rencontrer les agriculteurs près de chez eux. Ça fait 2 ans que le restaurant est ouvert. Il y a encore beaucoup de choses à structurer au niveau de l’entreprise pour s’inscrire dans les réalités économiques. En tant que particulier, pour faire ses courses ça va, mais au niveau d’un restaurant, les volumes sont différents.
Je suis dans une réflexion dans laquelle je dois inclure ce changement d’échelle. Jusqu’à quelle échelle je vais pouvoir travailler avec le maraîcher du village?
Il y a un agriculteur céréalier à Plobsheim qui s’est converti en bio et qui a acheté un moulin. J’achète la farine chez lui. L’idée c’est aussi de m’associer avec un éleveur de porcs. Sur les tartes flambées je mets du lard. Jusqu’à présent je n’utilise que la poitrine de cochon. Quelle réflexion peut-on mener pour faire le moins de déchets possibles pour consommer de manière responsable?
Christophe Schwoehrer : éleveur laitier en sursis à Boesenbiesen.Réinventer son métier pour rebondir.
L’exploitation de polyculture-élevage: 70 vaches sur 145 hectares de surface agricole : 30 hectares de prairie, 20 hectares triticale, 15 hectares d’orge, 10 hectares de blé, 70 hectares de maïs. En hiver, nous avons le temps pour les labours, pour les vaches et pour les travaux de la ferme. En été, avec les foins, les irrigations, les moissons... c’est plus compliqué. Organisation d’une journée type en été:5h réveil pour s’occuper de l’irrigation / 6h traite / 8h irrigation / 9h petit déjeuner. Ensuite c’est un nouveau chantier: soit la fauche, entretien des machines ...Midi : repas soit à la maison soit un sandwich sur le tracteur.17h30 traite / 19h30 irrigation / 21h douche et diner. 16h de travail pour quel salaire horaire?
Durant les 5 dernières années, le revenu de l’exploitation a été divisé par trois. Impossible pour nous d’investir dans un robot de traite qui coûte 150000 €. Notre salle de traite vieillit mais vu le prix du lait, nous avons fait le choix de ne plus investir dans l’étable. Nous avons préféré favoriser notre revenu plutôt que d’investir. Le prix des céréales seules ne nous permettant pas de vivre à 2 sur l’exploitation, nous recherchons une meilleure valorisation pour nos céréales.
Depuis le 1er mai 2018, nous sommes en reconversion bio pour la totalité de la surface. Les produits phyto coûtent chers. De plus le pulvérisateur devrait être changé et l’odeur des produits nous incommode surtout au moment de la préparation. Depuis 30 ans déjà nous n’avons plus recours aux engrais phospho-potassiques. Nous utilisons uniquement le fumier et le lisier de nos vaches. Pour ramener de l’azote nous avons recours aux engrais verts (moutarde et luzerne). Mon père nous soutient dans notre démarche. Il se souvient de l’époque avant l’utilisation des produits phytos et des engrais chimiques. Pour lui, «si ça marchait avant, il n’y a pas de raison que ça ne marche plus». Nous arrivons à entretenir des parcelles pratiquement propres. J’ai 40 ans. Je suis installé en GAEC depuis 10 ans avec mon frère sur l’exploitation familiale, suite à la retraire de mes parents. C’est une exploitation laitière. Mon père nous aide tous les jours et ma mère s’occupe de tout ce qui est administratif.
Du côté élevage, nous arrêtons les laitières pour passer à l’engraissement. L’étable étant là, l’élevage nous permettra d’avoir du fumier comme engrais organique pour les cultures. Nous allons réduire la surface en maïs et augmenter celle en céréales pour mieux gérer les rotations. Les rotations servent à alterner les cultures de printemps et les cultures d’hivers pour limi-ter la prolifération des mauvaises herbes. Nous avons aussi de la luzerne pour assurer l’apport en protéines pour les animaux. Par rapport à la valorisation des produits, les céréales sont dans une filière longue de commercialisation. Ces filières sont aussi en pleine réorganisation. Nous assistons pas mal aux échanges entre producteurs pour s’informer, voir ce qui se fait, voir quelles céréales produire pour s’adapter au marché. Il faut savoir que si le prix des cé-réales bio est plus élevé, il y a une baisse du rendement par rapport aux céréales conventionnelles. Pour le blé et l’orge, il faut compter une baisse de 50% de rendement et pour le maïs la baisse est de 60%. Les primes à la conversion restent attractives malgré les retards de paiement. Nous avons déjà investi 50000€ dans du matériel: une bineuse et une herse étrille. Du coté de la trésorerie, la gestion reste délicate. Les semences coûtent un tiers de plus qu’en agriculture conventionnelle et durant la conversion, le prix de vente des céréales n’est pas encore le prix du bio. Cette démarche de conversion suscite bien des réflexions sur l’exploitation. Il faut vraiment réinventer son métier. C’est assez complexe mais c’est aussi très intéressant et très motivant.
La question de François:
Je vais vous poser une question que je me pose moi-même. On voit bien que le système avec de plus en plus de mécanisation pour un maximum de rendement arrive à essoufflement. Pourtant il y a des résistances, des gens qui croient encore qu’il n’y a que les grandes exploitations qui peuvent faire vivre la population. Person-nellement je suis persuadé que les petites exploitations à taille humaine y arriveraient aussi. Comment concrètement de petites structures peuvent nourrir un maximum de personnes?
Denis et Nathalie: Une fromagerie Bio
L’exploitation a été scindée en deux. Nous redémarrons avec 30 hectares de terre arables et 15 hectares de prairies. On va produire uniquement le lait dont nous avons besoin pour la transformation. Toute la production sera vendue via la fromagerie.
La fromagerie, c’est notre acquis. C’est ce qui nous permet aujourd’hui de monter un nouveau bâtiment qui comprendra l’étable, une salle de traite, une nouvelle fromagerie. L’autre aspect de notre structure, c’est que la fromagerie, c’est aussi beaucoup de main d’œuvre.
C’est quand même une fierté de pouvoir fournir 3 CDI et un temps partiel. Nous avons profité de cette scission pour passer au bio. C’était logique pour nous vu que notre démarche en était déjà très proche. Comment ça se passe concrète-ment?
Il y a eu séparation des structures. Pendant la période de transition, j’achète le lait à mon frère pour faire tourner la fromagerie, tout en continuant à construire notre nouvel outil de travail et en assurant aussi tout le travail des champs. .Au niveau de la fromagerie, il y a la fabrication, mais aussi la vente. L’idée première, il y a 15 ans c’était de transformer 10% du lait pour ne pas être pris à la gorge par le prix du lait mais aussi au lieu de ne vendre qu’un produit indifférencié -matière première pour l’industrie agro-alimentaire -avoir un produit unique, original dont on pourrait être fier. Nous avons commencé par les marchés. Mais on s’est très vite rendu compte qu’avec un fromage on ne va pas loin. Nous produisons plusieurs fromages, pour pouvoir offrir un choix plus large: des pâtes dures, pâtes molles, des fromages frais, fromage blanc, du beurre, de la crème, des yaourts...
Au marché, quand on a les clients en face, on sent bien ce que veulent les gens. Maintenant nous livrons aussi dans de petits supermarchés, des épiceries, au magasin paysan de Colmar. Ça fait beaucoup de circuits différents.
En 15 ans de vente directe, nous avons pu observer qu’.il y a une dispersion complète de l’offre. Avant, quelqu’un qui voulait des produits fermiers, allait au marché ou chez le producteur. Maintenant, il peut les trouver via le réseau internet, il y a les Ruches, les rayons produits locaux dans les supermarchés... Cela nous oblige à repenser nos circuits de distributions, sachant que chaque mode de distribution a ses avantages.
La question de Nathalie et Denis:
Comment faire pour que les consommateurs se rendent compte que leurs choix influencent leurs paysages et leurs paysans ?
Anne-Flore Migeon et Pierre-Luc Laemmel maraîchers bio à Wilwisheim.L’agriculture comme une évidence.
Nous sommes installés tous les deux sur la ferme du Marais Vert à Wilwisheim en maraîchage et poules pondeuses, le tout en conduite bio. Pour ne pas dépendre que du maraîchage, en plus d’un hectare de légumes et d’un hectare de fruits, nous élevons 180 poules pondeuses. De plus, il y a une forte demande en œufs. L’intérêt aussi d’avoir des poules sur la ferme c’est que cela permet de faire la fumure des champs sans avoir besoin d’acheter des engrais organiques.
C’est une reconversion professionnelle. A un moment donné, nous ne trouvions plus de sens à nos métiers respectifs. Nous avons réfléchi. Le contact avec la nature, les saisons, le respect des sols... Petit à petit, ce fut pour nous une évidence de nous lancer dans le travail de la terre.
Pour tout être humain, manger, c’est la base.
Pour nous, c’est valorisant de pouvoir fournir de bons aliments tout en contribuant à garder des campagnes vivantes et à maintenir la biodiversité. Nous avons commencé une formation en agriculture puis en gestion. Le fait de faire des stages nous a permis de découvrir plein de choses et de faire nos propres choix. Le grand-père de Pierre-Luc était paysan et par chance les terres n’avaient pas été vendues.
Nous avons pu nous installer. Nous commercialisons nos produits depuis mai 2017 en vente directe à la ferme et par le biais d’une AMAP.
Le circuit court nous permet une meilleure maîtrise de l’activité, tout en créant des liens avec les consommateurs. Ce sont nos clients qui assurent la péren-nité de notre projet. Pour nous, l’avenir de l’agriculture passe plus par de petites fermes. Désormais nous travaillons pour nous et aujourd’hui, nous ne regrettons rien.
Pour compléter ce témoignage,voir la vidéo : https://vimeo.com/265712136
La question d’Anne-Flore et Pierre-Luc:
En tant que consommateurs, que pouvons-nous faire pour que l’agriculture de demain soit conforme à nos attentes et à nos aspirations ? .../...
Les témoignages et les échanges avec les participants se sont poursuivis autour d’un buffet fournit par les producteurs.
Des participants nous livrent leur réflexion suite à ces échanges :
Ces témoignages ne s’inscrivent-ils pas dans une conversion écologique?
A travers eux émergent le désir et la volonté de contribuer à un en-vironnement plus humain et plus naturel.
Restaurateur ou agriculteurs, producteur maraîcher ou fromager, ils réinventent et innovent pour un avenir durable en valorisant la terre, les produits, leurs produits. Ils sont en relation avec le consommateur et sa santé, les divers réseaux de vente, de production et de culture sans oublier le patrimoine du village. Ils tracent de nouveaux chemins à la sueur de leur front et aux risques économiques avérés au début, car certainement à contre-courant de la société actuelle.
Ils sont à l’écoute de ceux qui les soutiennent et sont motivés par des consommateurs qui prennent conscience doucement, mais sûrement, que leurs engagements sont bons pour la planète et influencent même le paysage. En relocalisant la consommation, en valorisant l’élevage et l’agriculture locale, ils accomplissent une démarche qui a du sens. Elle génère des liens humains et fraternels, et des emplois.
Elle respecte l’environnement et procure du bien-être.
Dans l’Encyclique Laudato SI le Pape François appelle aux talents et à l’implication de tous. Ils sont nécessaires pour réparer les dommages causés par les humains à l’encontre de la Création de Dieu.
Tous nous pouvons collaborer pour la sauvegarde de la Création, chacun selon sa culture, son expérience, ses initiatives et ses capacités.
Charles Gass, membre de l’équipe Laudato Si.
Aller à la rencontre de jeunes producteurs bio et d’un restaurateur a été une chance pour nous. Ce qui nous a le plus touché, c’est le «grain de folie» de chacun d’eux: reprendre une exploitation familiale ou changer de situation professionnelle stable pour aller en «terre inconnue».Chapeau bas, c’est hautement louable!
Points communs: amour de la terre, vie avec des animaux ou des volailles en étant attentif à leur bien-être, produire raisonnablement et vendre en circuits courts
.Nous avons découvert plusieurs problématiques:*Produire bio n’est pas produire en masse. Il y a un véritable souci d’écouler ou de transformer ce qui est produit avec le moins de perte possible.
* Comment se faire connaître et se démarquer des concurrents?
* Oser refuser les conditions de vente imposées par certains commerces pour rester fidèle à soi-même et ses convictions!
* Quels choix adopter entre se diversifier, augmenter la production et accepter d’«être sage» pour privilégier l’être à l’avoir?
* La composition du sol et les conditions climatiques influent sur la qualité et la quantité de la production et varient selon les années.
* Comment trouver l’équilibre entre les heures de travail souvent supérieures à 12h/jour et la vie familiale?
Comment faire face lorsque survient un accident, la fatigue ou la maladie... demandant une réorganisation rapide?
Tous ces jeunes intervenants nous ont partagé leur passion pour leur travail. Ils sont habités par un idéal et transmettent les valeurs qui les habitent.
Nous sommes vraiment admiratifs devant de tels engagements.
Merci et bravo pour ce temps d’échange, de débat et de convivialité où nous avons pu goûter les produits de leurs productions.
Cathy et Joseph Wurtz.
Synthèse de la rencontre réalisée par Valérie Velten