Nous souhaitions dans cette lettre d'information vous faire part de notre tristesse suite au décès de Noël le dimanche 15 mars 2020.
Nous voulons dire notre soutien à Odile.
Les funérailles de Noël se sont déroulées en comité restreint.
Voici l'interview qu'il avait donnée à Elisabeth Saint Guily. Une partie de ses nombreux engagements y est retracée, ces dernières années, il avait oeuvré auprès des migrants.
A bientôt Noël !
Interview de Noël BONAMY agriculteur en retraite à Solre le Château, dans le Nord,
Propos recueillis par Babeth - mars 2015 pour la revue de David & Jonathan sur l’écologie
Babeth : Noël, est-ce que tu peux te présenter, en quelques mots ?
Noël : J'ai 69 ans. Je suis marié avec Odile. Nous avons deux fils, François, qui est agriculteur, et Etienne, qui travaille dans l'aménagement paysager. Nous avons deux petits-enfants, chez François et Sandrine, son épouse. Et Etienne est en couple avec Stevens.
J'étais agriculteur, producteur de lait, en bio, et je suis en retraite depuis 2008. Je donne encore quelques coups de main à François de temps en temps. Et puis je suis président de l'harmonie municipale. Je joue du tuba.
Babeth : Tu as toujours voulu être agriculteur ?
Noël : Non ! Au départ, je voulais être clown ! Je suis fils de paysans. Mes parents étaient propriétaires. Ils exploitaient une ferme assez conséquente pour l'époque, autour de 40 hectares. Je suis le troisième. J'ai deux grand-frères. C'était difficile. Je me sentais mal aimé. Jamais rien de neuf, je devais récupérer les habits et les jeux de mes frères. J'étais à la vaisselle pendant qu'ils aidaient mon père.
Un jour, à la messe, j'ai été marqué par l'homélie d'un prêtre missionnaire. Je me suis dit : « je veux être prêtre ! » Du coup, j'ai demandé à aller au petit séminaire (collège). Je suis donc parti en pension. J'étais heureux là-bas. J'ai fui ma famille en fait. Avant, j'avais même fait des bêtises, j'avais volé dans la caisse. Là, en pension, j'avais le premier prix de camaraderie ! En troisième, j'ai été malade (un furoncle à la gorge). Le petit séminaire a appelé mes parents pour qu'ils viennent me chercher. A l'époque, on ne rentrait chez nous que tous les trimestres. Quand j'ai vu que mes parents venaient, je me suis dit qu'ils m'aimaient.
Après le petit séminaire, j'ai commencé le grand séminaire. Là aussi, j'étais dans une ambiance très communautaire. Je me sentais bien. En 1968, j'étais là-bas. Les événements de mai 68, je suis passé à côté.
En 1969, j'ai dû partir en Allemagne pour faire mon service militaire. Comme j'étais étudiant (en théologie), ils ont cru qu'il fallait me « mâter ». Mais en fait, j'ai été soutenu par l'aumônier. Et puis je jouais de la musique. J'étais dans la fanfare. C'était sympa. Je me souviens qu'au carnaval de la ville, on a même osé faire une blague : on a mis des masques en défilant, en uniforme !
Après mon service, j'ai changé de séminaire. Là, c'était une toute autre ambiance. Beaucoup de solitude. Il y avait des personnes très différentes les unes des autres. Ça m'a ouvert l'esprit. J'étais aussi en stage en paroisse. Je faisais même des homélies. Mais là aussi, beaucoup de solitude. Je me souviens, un dimanche après-midi de carême, je voulais causer. Personne. Pas de paroissiens. Le curé qui écoutait les sermons de Notre Dame de Paris à la radio. C'était dur.
A cette époque-là, j'ai fait du MRJC aussi (Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne).
A un moment, j'ai eu une remise en cause de ma vocation. Au séminaire, on entendait les profs nous dirent que nous devions être des « chefs, des héros solitaires ». Nous étions quelques séminaristes à ne pas être d'accord avec ça. Et puis, un jour, mes frères sont venus me voir en paroisse pour me dire : « tu n'es pas heureux ici ! »
Ça m'a fait réfléchir. J'ai quitté le séminaire en juin. J'ai pleuré pendant trois mois.
Mon père a eu un accident à la ferme. Je suis revenu pour l'aider. C'était du boulot, car à l'époque, tout se faisait à la main ! Les vaches m'ont remis les pieds sur terre. Et je me suis dit que le métier de paysan me plaisait, finalement.
Babeth : Raconte-moi un peu ton parcours d'agriculteur.
Noël : J'ai été aide familial sur la ferme de mes parents pendant quatre ans. Et je me suis engagé dans le syndicalisme des jeunes agriculteurs. A l'époque, nous étions dans le même courant de pensée que le journal « Vent d'ouest », avec Bernard LAMBERT (auteur de Les paysans dans la lutte des classes), en Pays de Loire. C'était progressiste.
C'est souvent moi qui prenais la parole dans les réunions et les manifs. J'avais appris, au séminaire. Mais à un moment, la Fédé (FNSEA, syndicat majoritaire agricole) a ordonné que ce ne soit plus moi qui parle pour les jeunes agriculteurs. Mon discours dérangeait. Je crois que c'est parce que je disais qu'on n'avait pas tous les mêmes intérêts.
En 1977, mon père prend sa retraite. Je m'installe agriculteur sur 42 hectares, avec des vaches laitières et des cochons. Je commence par moderniser la ferme, pour que le travail soit moins pénible. Je laboure 7 hectares de prairies, pour planter du maïs pour nourrir les vaches. Je fais partie des Paysans Travailleurs, un syndicat progressiste, dissident de la FDSEA.
J'ai rencontré Odile, une fille de paysans de Haute-Normandie, qui n'était pas contre vivre avec un paysan qui avait déjà trente ans ! Nous nous sommes mariés.
Je suis élu à la Chambre d'agriculture. En tout, je vais faire trois mandats de six ans, d'abord pour les Paysans Travailleurs, puis la Confédération Paysanne.
Odile et moi faisons partie d'une équipe CMR (Chrétiens dans le Monde Rural). C'est un lieu où on peut réfléchir sur nos pratiques, avec d'autres agriculteurs et avec des gens d'autres secteurs professionnels.
Babeth : Comment en es-tu arrivé à passer en bio sur ta ferme ?
Noël : Je n'ai pas de formation agricole au départ. Du coup, je pense que cela me permet de penser autrement, d'essayer de nouvelles choses. Au sein du syndicat, les autres agriculteurs étaient plus productivistes que moi, mais ils observaient ce que j'essayais sur ma ferme. Et quand ça marchait, ils y allaient aussi. Assez vite, j'ai trouvé que le maïs coûtait finalement très cher à produire. J'ai cherché à mieux nourrir mes vaches, avec de l'herbe, du foin, de l'ensilage d'herbe. En plus, j'ai vu qu'elles préféraient. Et puis au départ, les ruminants, ça mange de l'herbe, pas de l'amidon de maïs !
Pour la santé de mes bêtes, j'ai voulu être prudent avant d'appeler le véto et d'engager des frais de médicaments. C'est vrai qu'avant, on traitait beaucoup. Dans ces années-là, mon fils François faisait du cyclisme en compétition. J'avais été choqué par le dopage dans ce milieu, même chez des ados, en amateur !
En 1998, je suis passé en bio. C'était aussi l'année du scandale de l'équipe Festina au tour de France. Ça m'a fait bondir : le chef de l'équipe avait dit qu'ils avaient voulu contrôler le dopage, plutôt que de le laisser faire en cachette, sans suivi médical... Et ça a failli passer ! Ce qui m'a fait passer en bio, aussi, c'est le débat sur les OGM. Je suis contre. J'ai voulu m'engager clairement.
Avec un ami agriculteur de notre équipe CMR, et avec d'autres producteurs laitiers, nous avons quitté notre laiterie conventionnelle, pour aller chez Biolait, une coopérative de lait bio militante (le slogan, c'est : « la bio pour tous et partout ! »). Cela m'a fait quelque chose, de quitter la laiterie, car je m'y étais impliqué, en tant que délégué de mon secteur géographique, pour défendre les intérêts des producteurs de lait. Je faisais partie des rares qui ouvrait leurs gu... finalement.
Babeth : Alors tu es devenu écolo ?
Noël : Non ! Enfin, c'est vrai que je n'ai jamais aimé le terme « exploitant agricole » Comme si on exploitait les ressources sans rien laisser. L'agriculture, ce n'est pas comme une carrière de minerai ! J'ai plus souvent voté à gauche, même si j'ai voté écolo une ou deux fois. […] Cela faisait des discussions animées, avec mes frères, à l'époque. Les agriculteurs votent traditionnellement à droite. C'est vrai qu'au PS, je ne suis pas d'accord avec tout. Par exemple, je suis contre le nucléaire. Mais c'est comme avec l'église catholique. Je suis resté. Même quand le pape avait serré la main de Pinochet !
Pour moi, il faut toujours mettre la priorité sur l'humain. C'est vrai que l'humain est issu de la nature et il doit la respecter. Mais on ne peut pas mettre sur le même plan un bébé et un batracien ! Par exemple, je suis choqué quand les écologistes veulent que les éoliennes puissent être installées à 500 mètres des habitations au lieu de 1000 mètres. Je suis aussi scandalisé par le marché des droits à produire du CO2 ! Et les écolos qui ne disent rien !
Je pense que j'ai hérité de mes parents ce grand respect pour la personne humaine, et, mentalité d'agriculteurs propriétaires oblige, le souci des générations futures. Et donc, aussi, le fait de penser aux conséquences que peuvent avoir mes actes pour autrui.
Babeth : Comment as-tu reçu l'annonce de l'homosexualité de votre fils ?
Noël : Avec Odile, cela nous a fait un choc, au début. On a pensé qu'on n'aurait pas de petits enfants. En fait, à présent, on en a chez notre autre fils. Et puis on arrive à parler du désir d'enfant avec Etienne et Stevens. On a même eu un échange au sujet de la GPA (Gestation Pour Autrui).
On savait que l'homosexualité ça existe. Ça existe aussi chez les bovins, d'ailleurs ! Mais quand même, il nous a fallu bouger. Au début, on s'est demandé si on avait raté quelque chose dans l'éducation de notre fils... On lui avait laissé exprimer sa sensibilité, dans le piano, dans l'horticulture...On s'est demandé si on aurait dû faire autrement. C'est comme pour tout. Il faut y être confronté pour s'ouvrir, pour changer peu à peu de regard. Je me souviens du choc de mes parents, quand ma sœur leur a présenté son copain, qui était noir. Au début, mon père l'a mis dehors ! Et puis après, finalement, ils ont accepté. Ils ont vu qu'ils étaient heureux.
En 2004, quand Noël MAMERE avait célébré un mariage homo à Bègles, je me souviens que mon autre fils François lui avait écrit. « Je suis écolo, mais je ne suis pas d'accord ! » Depuis, heureusement, il a changé de regard aussi.
Babeth : As-tu des regrets, par rapport à tes choix de vie ?
Noël : Non. Je pense que mes années de séminaires m'ont appris à penser différemment, à avoir un esprit critique constructif.
Du coup, pour la ferme, je n'ai pas voulu forcer mes enfants à être dans l'agriculture. Depuis tout petit, François dit que paysan, c'est le plus beau métier du monde, car c'est nourrir les hommes. Mais nous avons voulu qu'il voit autre chose. Il était parti sur une autre voie, en physique chimie à la fac, et puis il a fait son propre chemin avant de venir reprendre la ferme.
Dans ma vie, je me suis souvent engagé pour le collectif, pour la justice, pour la préservation de la vie, de la création. Mais je ne veux pas me situer au-dessus des autres. Je ne la ramène pas. Et je suis malheureux de voir les autres agriculteurs autour de moi, souffrir dans le système productiviste.
Avant de passer en bio, nous avons beaucoup réfléchi car au départ, nous voulions une amélioration pour l'ensemble des agriculteurs et des consommateurs, et pas juste pour une petite élite qui en aurait les moyens... Ce qui compte pour moi, c'est la justice sociale !